Mamadou, Adios Mamadou.
Encore une fois aux abords de Jabyet el Haj Ali à Ejdaria, sur la plage au niveau de la jetée, plusieurs vêtements s’étalaient devant moi, avec leurs secrets, leurs odeurs, les gènes, leurs mémoires… des pantalons avec leurs ceintures, des vestons, des chaussures de sport de toutes les tailles dont une paire de 48, des tricots, des robes de femmes colorées à l’africaine, des châles, des chapeaux sport, des chaussettes, des piles de radio, des papiers froissés portant des adresses illisibles et la couverture cartonnée d’une bible. Le tout était éparpillé en un seul endroit et ne paraissait pas sortie avec les vagues de la mer, car les objets étaient sec et sortis au même endroit. Cette situation énigmatique m’a angoissé, des vêtements personnels sans leurs porteurs, parvenues étanches…laissent à imaginer plusieurs hypothèses inhumaines dans ces circonstances de ruées « clandestines » vers l’Occident promis, qui sont déjà dans leur dimension normale, assez dramatiques et cyniques. Comme d’habitude, comme je l’avais fait avec Mamadou I,II et III, et en rageant, j’ai fait une prière à leur mémoire et resta longtemps silencieux devant cette mer qui recrache sans états d’âme, toutes les intrusions dans son territoire, aussi justes et justifiées soient elles.
Quelques jours plus tard, une partie du secret s’est dévoilée, quand un berger m’informa que quelqu’un avait tracté une grande embarcation de l’endroit décrit vers sa ferme et laissa les vêtements sur place, tout en veillant à emporter les portables et les objets de valeurs. Mais l’énigme reste entier, Mamadou, Mohamed et Mao…ont vraisemblablement été contraint à écourter leur grande marche…écologique. Seraient-ils secourus en pleine mer ? Seraient-ils immergés l’un après l’autre par l’homme aux pieds 48 ?
Les pêcheurs de Zarzis sont de braves gens, qui respectent la mer, les tortues, les dauphins et n’hésitent guerre à porter secours à quiconque. Mais quelques fois, ils sont obligés de faire attention quand ils se trouvent devant des bateaux de naufragés en panne et se limitent à s’en approcher pour leur fournir eau et vivres et alerter les autorités maritimes pour les prendre en charge en les dépannant ou les amener à terre. Les pêcheurs ne pouvaient pas faire plus car les « harraga » en état de détresse, aussitôt secourues de pré, pourraient jeter les marins à la mer et prendre le bateau pour repartir vers Lampedusa. D’ailleurs, ils sont très sensibles à ce phénomène, qui les dérange, sur le plan humain, sur le plan du désagrément face aux cadavres qui arrivent de temps en temps, sur le plan des réserves des consommateurs de poisson pendant les naufrages des clandestins et surtout face au risque de se voir voler le bateau par des passeurs criminels et sans scrupules. Un Raïs, capitaine d’un bateau de pêche, me raconta comment un jour tôt le matin, tout de suite après avoir saluer à droite et à gauche sa fin de prière, regarda en face sous les premières lueurs du soleil et put constater avec terreur entre les vagues berceuses, le cadavre flottant inerte d’une femme portant son bébé sur le dos. Le Raïs glacé de compassion et de colère froide, ne put que recommencer sa prière, avec cette fois, des supplications pressantes et désespérées.
En voyant le grand bus devant le poste de la Garde Maritime, j’ai déduit rapidement que c’était une affaire de clandestins et j’ai freiné sec, pour constater et éventuellement assister. Effectivement, c’était une trentaine de jeunes noirs dont quelques femmes, dans une situation pitoyable sur les plans de la santé et de l’épreuve physique et morale qu’ils viennent de subir. Ils viennent d’être sauvés d’un naufrage certain et à force d’être resté longtemps accroupies entassés dans un petit bateau, ils marchent courbés et titubants par l’effet encore actif du mouvement des vagues. Je revenais juste de ma randonné écologique et portais un plein « dhollala karmouss » un grand chapeau de paille plein de figues fraiches et mielleuses que j’ai offert aux rescapés, mais les Gardes l’avaient pris sous prétexte d’attendre le médecin. J’ai du alors aller en ville pour chercher de l’eau, du pain, du lait, du fromage et les commerçants étaient réellement solidaires et n’avaient pris que la moitié des factures. J’étais heureux d’assister à des clandestins qui ont échappé à un destin macabre mais, malgré mes sourires, mes grimaces, mes gestes de sympathie, les jeunes étaient toujours impassibles et hagards, alors j’ai déduit et compris, qu’ils préfèrent mourir que revenir au point de départ et repartir à zéro s’ils en auront les moyens, ce qui n’est pas évident. Toutefois, j’ai vérifié avec Monsieur le Délégué des assurances qu’ils seront bien traités et conduits vers un centre d’accueil où ils auront droit à une douche, des vêtements, de bons repas et une consultation médicale. Mais, j’ai tout de même signalé l’absence de médecin sur place et revendiqua un meilleur accueil pour nos frères en difficultés.
Ainsi, devant ce cercle vicieux, de l’émigration clandestine actuelle et future, sur la Méditerranée, la mer rouge, Gibraltar ou le désert du Mexique, que le réchauffement climatique, le dérèglement de la société locale par un colonialisme en veille et l’inégalité des chances à une vie descente…déclenchent et catalysent durablement, la communauté internationale doit sérieusement traiter le problème à la source, par la stabilisation et la réintégration des jeunes sur place, avec des possibilités d’emploi et des conditions viables. Bien sur, la manipulation mentale au niveau du comportemental et conceptuel, doit aussi être déconstruite par la revalorisation de la culture locale et la dépolarisation de l’idéal. Nul n’ignore, les intérêts morbides et douteux des parties dans ce flux humain, que certaines d’entre elles, utilisaient comme une force de travail presque gratuite dans le marché noir, d’autres fermaient les yeux pour se débarrasser d’une catégorie de la population réputée énergique et revendicative, d’autres encore utilisaient ce phénomène pour bombarder l’occident avec ces ogives humaines, pour des avantages politiques qui ne valent pas les milliers de victimes innocentes. Heureusement, depuis un certain temps, les tentatives d’émigrations clandestines ont diminuées, peut être à cause du retranchement drastique de l’Europe derrière sa forteresse géographique et ses lois dissuasives, mais aussi à cause de l’aboutissement de certains enjeux géopolitiques de compensation et de retrouvaille « de vieux amis ». Tant mieux, pour nos frères contraints à l’émigration écologique de ne plus s’aventurer à l’aveuglette ou servir d’appâts aux belligérants, mais on ne peut tout de même fermer pour longtemps une rivière par un barrage étanche au risque de le casser et il faudrait résoudre les problèmes de l’Afrique et des pays pauvres très sérieusement et en symbiose avec les démarches visant à la limitation du réchauffement climatique.
Enfin, ouf, Mamadou, Adios Mamadou, car comme c’était pour les Ritals, les Polanski, les Irlandais, les pionniers westerniens, …les néanderthalien, l’homme primitif dans touts ses états et étapes…, l’émigration écologique était toujours un facteur de santé pour l’humanité, un facteur de diversité génétique et culturelle…qu’il faudrait humaniser et comprendre. Et que l’Europe ouvre les ponts-levis de sa forteresse de granite et que les murs de la honte au Mexique et à Gaza se désintègrent pour la fraternité entre les hommes.
Lihidheb mohsen Eco artiste
Zarzis TN 03.09.2009
http://art.artistes-sf.org/mohsen